Archives pour la catégorie expositions personnelles

Miscellanées.

Galerie La Maison
Nice, 2009

1-deracine

Déraciné
photographie
env. 20 x 30 cm

SOUCIS

Alexandra est une artiste nomade. Ce n’est pas tout à fait exact. Alexandra est une femme nomade, et quand elle fait de l’art, son nomadisme de femme vient squatter son art d’artiste. Par exemple, voyez cette photo qu’elle a prise en Chine (titrée par elle Déraciné) où un saule pleureur couché parmi ses compagnons debout porte sur son horizon proche une embarcation exotique naviguant plus loin sur le fleuve : déracinement figuré soulignant exil réel. Il est vrai qu’à moi qui connais un peu la vie d’Alexandra, il est plus facile de déchiffrer ce genre d’indices ; il y a quelques années, je recevais régulièrement d’elle des chroniques chinoises et je m’inquiétais de lire dans ses descriptions la pure volonté de dépaysement qui la guidait alors. En réalité, Alexandra n’est pas une femme nomade, mais quelqu’un chez qui l’habiter forme une faculté hypersensible. Tandis que nous autres habitons tout grossièrement et franchement nos habitations, c’est comme si Alexandra était restée étrangère à l’ordre du logis (= l’idéologie domestique) ; de sorte qu’elle perçoit toutes sortes d’installations avec une acuité inquiète et rêveuse. C’est donc une coïncidence heureuse si La Maison lui a commandé une exposition monographique, car l’artiste y trouve une belle occasion de contre-habiter cet espace, qui a toujours plié les expositions qu’il accueillait à sa fonctionnalité première (toilettes et salle de bains comprises). Contre-habiter, ce sera alors décliner des formes paradoxales d’habitation, en jouant sur la « fonction tableau », par quoi se symbolise d’ordinaire le caractère habitable d’un lieu, autant que sur le genre de l’installation, qui embrasse tout l’espace réel d’une pièce ou d’un espace intérieur complexe. Au salon vide, ainsi, fleurissent des pensées si évidemment cultivées qu’on ne peut pas ne pas penser sauvage en les voyant jaunir sous l’ampoule…

Joseph Mouton

 

1-fragile

fragile
scotch

 

4-strass

strass
clous

 

6-le jardin a l interieur-2 7-le jardin a l interieur-3 8-le jardin a l interieur-4

Le jardin à l’intérieur
terreau, pensées, cage à oiseau, lumière
dimensions variables

 

9-les yeux des marges de mes cahiers

Les yeux des marges de mes cahiers
sérigraphies rehaussées à l’encre de chine

 

10-silencio

silencio
destructeur de document, table, papier, broderie (« sur le vide papier que la blancheur défend » Stéphane Mallarmé), ampoule

 

11-sans titres

Sans titres
livres, bibliothèque
dimensions variables

 

Veilleuse, exposition close.

 

Un lieu quelque part, 2010

1(culture)

(culture)
serre de jardin, guirlande de LED

 

2 bas reliefs

bas reliefs
dimension variable

 

5-le grand architecte4-le grand architecte-2

le grand architecte
table, brindilles, colle à bois, lampe d’architecte env. 160 x 100 x 70 cm

 

VEILLEUSE

La fête foraine, dans sa grande violence sensorielle, grave à jamais des souvenirs d’ivresse joyeuse dans nos yeux tendres. Si on envisage l’enfance d’Alexandra Guillot et son très probable émerveillement devant les lumières des manèges, on ne peut plus ignorer, pour regarder ses récents travaux d’artistes, les clignotements et néons qui ont veillé à sa découverte des barbes-à-papa.

Mais l’enfance foraine n’empêche pas d’avoir peur du noir. La vive inquiétude qu’elle produit est proportionnelle à l’imagination …. Et Alexandra a de l’imagination, simplement plutôt que de la mettre au service de la peur, elle lui attribue plutôt la tâche de faire de la nuit un faire-valoir aux lumières.

Bien qu’on ne puisse réduire à une seule interprétation les pièces lumineuses d’Alexandra Guillot, il est difficile d’échapper aux questions suggérées par la raison éclairée. Les philosophies du XVIII° siècle pourraient en effet, dans le contexte politique actuel, nous être fort utiles. Il y a dans les veilleuses d’Alexandra quelque chose comme une résistance au pouvoir obscur et violent qui censure, qui discrédite l’intelligence, l’étude et l’érudition. Alexandra aime l’art et ses propositions le démontrent discrètement. Quelques lampes de bureau révèleront un mur ancien pour le transformer en bas-relief. Une serre, cerveau, prendra le nom de «(Culture)».

Les veilleuses d’Alexandra Guillot se présentent comme des sculptures contextuelles où l’architecture est essentielle. Ici le labyrinthe bien que réduit à quelques salles tarabiscotées suggère les constructions méditerranéennes les plus anciennes. Chargées d’abriter les monstres, c’est-à-dire les choses à montrer, elles ont aussi pour fonction de les tenir captifs; une exposition close en quelque sorte. Si le vieux couple autonomie/contexte joue ici à plein régime c’est parce que la tension produite entre les deux par l’obscurité est à son comble. Pièces et «pièces» s’occultent et se magnifient mutuellement et alternativement.

Il y a dans les propositions d’Alexandra Guillot cette approche binaire, en damier, qu’on peut retrouver dans ses derniers travaux avec le Yi-Jing. L’alternance des deux signes censée décrire toutes les bifurcations possibles du destin semble être un modèle de travail. Le livre des transformations se présente comme la possibilité de comprendre la complexité à partir de la simplicité. Un assemblage simple ou même une lampe de chevet conduit chez Alexandra à des réflexions sinueuses. Elle utilise, somme toute, une vertu de la lumière qui consiste à faire voir et donc concevoir

Julien Bouillon, septembre 2010

Ratio Natura Poesis

MDAC, Cagnes-sur-mer, 2011
Dans le cadre de la manifestation L’art contemporain et la Côte d’Azur
Commissariat Anne Séchet.

1 tour de Babel

Tour de Babel
livres de poche
dimension variable

 

7 tissage 1 8 tissage-2

tissage
série de 34 dessins A5 annotés fixés sur plaque de médium

 

5 silencio-1 6 silencio 2

silencio
performance
destructeur de documents, papier, table

 

4 mon amie la rose + sans titre 3 mon amie la rose + sans titre-2

mon amie la rose
buches, roses de fraîches à fanées

sans titre
mousse
dimensions variables

 

2 les architectures malades

les architectures malades
brindilles, ampoule, fil électrique
dimensions variables

Cette exposition aurait pu s’appeler « les tremblements de l’instant » titre d’un dessin d’Alexandra Guillot car chacune des deux artistes présentées élabore son travail dans ce temps imperceptible de l’instant qui s’ajoute à la seconde qui suit, et ainsi de suite . Chaque geste se rajoute au précédent, identique et pourtant différent  car la répétition des gestes se joue au delà la compulsion monomaniaque. Tatiana Wolska et Alexandra Guillot expérimentent au jour le jour chaque tremblements qui surgit dans leur pratique entre raisonnement , pulsion et poésie. Elles construisent des œuvres par strates de temps, mais aussi par feuilletage du matériau qu’elles choisissent. Elles semblent ainsi élaborer des « sculptures-archéologiques » du monde qui les entoure . Ces deux artistes vivent et travaillent sur la côte d’azur mais loin de tout stéréotype d’une nature idyllique elles collectent des éléments « déclassés » (tasseaux, mousse, vieux livres, minuscules brindilles, bouteilles en plastique …) pour en réfléchir les qualités structurelles   tout en construisant une histoire intime tactile avec ceux-ci.

Cette exposition montre à la fois des pratiques d’installation et de sculptures, ainsi que leur intérêt commun pour le dessin. Celui-ci traverse l’œuvre de chacune. Le temps d’une exposition, chacune de ces artistes regarde son propre travail à la lumière du travail de l’autre, autant dans ses différences que dans ces similitudes . Le visiteur se trouve, lui, face à deux univers, riches, où la réflexion et l’intuition se retrouvent intimement mêlées dans la quotidienneté de la pratique et de la poésie du regard .

Anne Séchet

L’heure du loup.

Maison Abandonnée Villa Cameline
Nice, 2013

1 mathematiques nocturne-1 2 mathematiques nocturne-2

Mathématiques nocturnes
160 x 200 x 140 cm
Table retournée, bouteilles brisées, ballon de baudruche, housse en tissu sérigraphiée, ampoule, câble

 

3 nuit blanche

nuit blanche
vidéo noir et blanc sonorisée 25 minutes

 

4 la mere des enfants perdus-1 5 la mere des enfants perdus-2 6 la mere des enfants perdus-3

la mère des enfants perdus
240 x 200 x 100 cm
Structure métallique, chien bibelots, lampe électrique

 

7 la chambre d amie-2 8 la chambre d amie-1

la chambre d’amie
1 m 50 x 1 m 50
caisson lumineux double face

 

9 l abri de l ire-1 10 l abri de l ire-2

L’abri de l’ire
livres, lampe à LED, néons lumineux
dimensions variables

 

11 rituel-2 12 rituel-1

Rituel
tube de rouge à lèvre noir

 

13 l amoureuse-1 14 l amoureuse-2 15 l amoureuse-3

L’amoureuse
sérigraphie, cadre multimédia, guirlande de LED
dimensions variables

 

horloge 1 horloge 2 horloge 3 horloge 4 horloge 5 horloge 6 horloge 7 horloge 8

Horloges
plexiglass noir, moteurs d’horloge, aiguilles dimensions variables
Chacune des 8 horloges est arrêtée à la même heure, seule la trotteuse tourne. Un horloge est présente dans chaque pièce/installation.

 

Entretien avec Alexandra Guillot

Ta dernière exposition s’appelle « L’heure du loup ». Dans quelle mesure doit-on y voir un lien avec le film éponyme de Bergman ?

Cette exposition, qui est un travail sur le temps et ses variations de perception, partage avec le film la même fascination pour ces moments de bascule, de dérive, où la durée n’est plus perçue de la même façon. Pour être honnête, j’ai trouvé ce titre un peu par hasard. Je cherchais quelque chose comme « entre chien et loup », une expression qui mette en jeu une situation intermédiaire, de transition, quand je suis tombé sur L’heure du loup. J’ai aussitôt visionné le film. Le propos de Bergman correspondait exactement à ce que je voulais réaliser. Finalement cela a même orienté mes travaux. Il m’arrive souvent de partir d’un titre pour réaliser une œuvre ou une exposition, le titre a la faculté de cristalliser, de concentrer le propos, et me permet ainsi de libérer d’autres pistes de réflexion.

On trouve beaucoup de références à la nuit, au domaine du merveilleux, au conte : les pendules arrêtées, la lune, la lumière, féerie parfois dangereuse, les animaux. Toutes ces représentations symboliques, liées au monde de l’imaginaire, à l’enfance, sont présentes dans l’exposition. Est-ce récurant dans ton travail ?

Effectivement, cet univers apparaît dans la plupart de mes travaux précédents de façon plus ou moins marquée. Je crois qu’il y a en moi une forme d’innocence que j’ai toujours eu peur de perdre et que je m’efforce de préserver. Puisque l’on parle du conte, j’avais déjà réalisé Le radeau de l’amoureuse, une pièce en bois où est gravé un cœur transpercé d’une flèche abritant le signe l’infini. Cette sculpture avait été présentée au Castel Plage à Nice, comme échouée sur les galets. On la retrouve dans l’expo mais cette fois sérigraphiée. C’est la même idée qui est à l’origine de ses deux variations. Il est vrai aussi que j’ai relu Grimm, mais surtout les romans d’Edgar Allan Poe que j’adorais adolescente. Cette littérature, qui tient plus du conte macabre, du romantisme noir, a certainement dû m’influencer.

Dans une des pièces, on peut découvrir une installation avec une pelote de laine noire posée sur une bergère qui se déroule en écheveau jusqu’au plancher. On pense à un ouvrage tombé des mains d’une personne qui aurait soudainement disparu, d’autant que la bergère est recouverte d’un drapé blanc assez fantomatique.

Cette installation est inspirée de la figure homérique de Pénélope qui, des nuits durant, a défait son ouvrage pour le refaire inlassablement en attendant le retour hypothétique d’Ulysse. C’est une pièce sur l’absence de l’être aimé, mais aussi sur le sentiment d’abandon de la personne qui attend et qui finit par disparaître, elle aussi, dans cette répétition, comme annihilée, remplacée, par sa passion dévorante.

La couleur noire est très présente également au fil du parcours.

Il y a en général très peu de couleurs dans mon travail. Et cette exposition ne déroge pas à la règle, si l’on excepte l’aiguille rouge de la trotteuse des pendules.

Parle-nous de cette installation qui est omniprésente dans l’exposition…

Il y a une horloge dans chaque pièce. Toutes sont différentes, mais réalisées selon la même charte, et toutes sont arrêtées à la même heure. Il n’y a que la trotteuse qui continue à tourner. C’est une manière d’évoquer un temps parallèle, mais aussi l’insomnie, un état où ce temps justement paraît ne plus vouloir s’écouler.

Tu sembles fascinée par la sensation que provoque cet état entre veille et sommeil. La vidéo « Nuit Blanche » explore également ce climat de perception altérée…

C’est une nuit d’insomnie avec toutes ses altérations de conscience, d’angoisse qui monte au fur et à mesure du manque de sommeil. Il y a une séquence qui revient plusieurs fois, je casse une pierre avec un marteau, la séquence est projetée à l’envers. À la fin, on voit le monolithe se reconstituer entièrement. C’est pour moi une façon de mettre en scène ce que Rothko appelait la sagesse de la souffrance. Je ne suis plus dans cet état d’esprit aujourd’hui, mais disons que si tu touches le fond, tu peux rebondir et remonter. On peut voir cette stratégie de survie comme une forme de résilience. J’aime ce mot et l’idée d’un salut possible par une sorte d’abandon de soi, de purge de nos démons intérieurs induit par un passage à un autre niveau de conscience.

Le tube de rouge à lèvres posé sur le lavabo de la salle de bain est complètement noir et ressemble à une balle de revolver. Est-ce une balle perdue pour une belle perdue, pour paraphraser une chanson de Daniel Darc ?

Pourquoi pas ? (Rires) Il y a dans toutes mes œuvres plusieurs interprétations possibles. « Rituel » est un tube de rouge à lèvres noir, qui fonctionne aussi avec la vidéo. On peut me voir dans une séquence me barbouiller le visage avec cet accessoire de maquillage. La vidéo étant en noir en blanc, il devient vraiment du noir à lèvres qui finit par déborder sur tout mon visage. Cette séquence est la représentation d’un rituel, un rituel raté !

Doit-on y voir une inaptitude à vouloir plaire, à séduire selon les codes traditionnels ? Tu as souvent pris dans ton propre parcours la tangente de la norme, l’une de tes œuvres antérieures s’appelle même Borderline. L’installation « Adolescence » (la mère des enfants perdus) renvoie à un moment particulier de ton adolescence ?

Effectivement, si je l’ai baptisée « Adolescence », c’est que cette pièce est une œuvre narrative constituée d’éléments biographiques. Elle m’a également été inspirée d’une chanson de Keny Arkana, une rappeuse marseillaise qui parle des jeunes attirés par la vie dans la rue. J’ai moi-même, quand j’avais 17 ans, vécu de cette manière, nomade, précaire, en squat avec des punks à chiens. Je jonglais dans les rues, offrais du spectacle comme on dit. Il était fréquent de dormir à la belle étoile. Le lit est un lit d’ado, un lit d’internat, avec des barreaux volontairement très hauts, démesurés, inatteignables. Il a été réalisé sur plan. Au sommet, il y a une plaque d’aluminium brossé, rayé, qui donne à voir une manière de voie lactée, de ciel étoilé. Quand aux sculptures de chiens posées en dessous, elles évoquent ceux qui nous accompagnaient, nous protégeaient quand nous dormions à ciel ouvert. Ce sont des sculptures dénichées dans des brocantes, repeintes en noir, trois chiens adultes et un chiot avec une ampoule sur la tête, la seule source de lumière !

Toujours ce souci constant de la lumière ?

Oui, la lumière est un matériau que je convoque souvent dans mes travaux. Une des installations que je prépare actuellement est d’ailleurs une sorte de cage à ampoule avec une bande-son qui varie selon qu’elle soit allumée ou éteinte ! L’expo à la Villa Caméline, qui est une demeure séculaire conservée dans son jus, se prêtait bien à ces jeux de clair-obscur. Mais il a fallu d’abord « borgnoler », occulter toutes les fenêtres avec du rideau de théâtre, pour éviter le parasitage des sources extérieures.

La lumière est également présente avec la pièce « L’abri de l’ire », le mot « ire » est inscrit en lettres de feu, si j’ose dire, puisque posée dans l’âtre d’une cheminée !

C’est une installation faite à partir de néons qui forme le mot « Ire ». La lumière qui s’en dégage est irrégulière et envoie parfois des éclats. Je l’ai mise en place à l’atelier, mais cela m’a paru évident de la disposer dans cette cheminée. Même si je n’avais pas fait attention au départ que cela pouvait former un jeu de mot visuel avec l’arrête supérieure de l’âtre et donner ainsi le mot « Fire ». Souvent les choses procèdent de façon inconsciente et ouvrent de nouvelles perspectives au moment de l’accrochage.

Placé juste à côté un écran vidéo montre un cœur qui bat ! C’est d’ailleurs dans cette exposition la seule note d’une présence humaine, si l’on excepte la vidéo où tu apparais brièvement…

C’est la deuxième vidéo que j’ai intégrée au parcours. En fait, il s’agit d’un found footage extrait d’un film de propagande russe datant de la Seconde Guerre mondiale, traduit en anglais parce que destiné aux Américains. Avec cette saynète édifiante, l’armée soviétique voulait montrer qu’elle avait le pouvoir de ressusciter ses soldats en conservant un cœur en vie. Dans ce film, dont le but était d’impressionner les forces adversaires, les Russes montraient également de quelle manière ils pouvaient maintenir en vie un chien découpé en plusieurs morceaux.

Avec « L’abri de l’Ire », on aborde un univers qui t’est particulièrement cher. Là aussi la lumière filtre mais au travers d’un abri de fortune fabriqué avec des livres assemblés en tasseaux.

Ce n’est pas la première fois que j’utilise des livres. J’avais déjà réalisé à la Maison, galerie singulière une installation avec des livres de poche, ainsi qu’une tour de Babel à la Maison des artistes de Cagnes-sur-Mer. Ce cocon de livres me fait penser à ma mère. Je l’ai vu enfermée dans ses livres, veiller, ne pas dormir de la nuit. J’ai, moi-même, beaucoup lu, au point de risquer l’enfermement, de me couper du monde réel. En fait, je suis artiste à défaut d’être écrivaine. La pratique de l’écriture est très présente dans mon œuvre et au cœur de mon processus créatif. Cela convoque autre chose, c’est un exercice aride mais auquel je suis intimement liée. Lors de mon voyage en Chine, je tenais régulièrement un journal que j’envoyais à quelques amis. J’ai également réalisé, de façon artisanale, des éditions très limitées de poèmes.

Avec la performance Silencio, cette obsession liée à l’écriture se révèle sous une forme d’épure très radicale

Oui, c’est une performance que j’ai réalisée à plusieurs reprises, la première fois c’était en 2010 dans une chambre d’hôtel à Vaison-la-Romaine. Elle m’a été inspirée, à une époque où je n’arrivais plus à écrire, par une citation de Mallarmé : « Sur le vide papier que la blancheur défend ». Quand je suis, par hasard, tombé sur ce destructeur de documents qui s’appelait Silencio, l’idée a pris forme. Je m’isole dans une pièce plongée dans l’obscurité, la seule source de lumière éclairant la table où j’officie. Devenant un être intemporel qui évolue dans une autre sphère, on me voit passer au broyeur des feuilles blanches. Au fur et à mesure que le temps s’écoule, le tas de feuilles laminées grossit, enfle, pour devenir une sculpture. Au départ, c’était une sculpture, c’est devenu une performance, aujourd’hui je peux dire que c’est une sculpture dont je fais partie. Cette œuvre est emblématique pour moi du passage du littéraire au plastique. C’est un acte d’isolement qui renvoie à la solitude de l’écrivain, à une autre nuit aussi. En octobre, je suis invitée par un commissaire néo-zélandais à reproduire cette performance à Gdansk.

Revenons à l’Heure du Loup et à cette étrange installation au rez-de-chaussée, « Mathématiques nocturnes ». Les pieds d’une table renversée servent de support à une baudruche/planisphère. Au-dessous, des bouteilles vides, propres mais cassés au goulot. Elles sont en ordre serré, si bien alignées que j’ai pu penser à quelque chose d’industriel, de rationnellement organisé. Par ailleurs, la table étant renversée comme on peut renverser les valeurs, j’y ai vu une sorte de parabole sur le nouvel ordre mondial, ou plutôt le nouveau désordre mondial ?

On m’a dit aussi que le ballon planisphère faisait penser à celui avec lequel joue Chaplin dans le rôle du dictateur. J’adore les interprétations, beaucoup sont possibles d’autant que « Mathématiques nocturnes » est une pièce que je n’hésiterais pas à qualifier de surréaliste. Si toutes ont été réalisées in situ, celle-ci aurait pu trouver sa place dans un white cube, car elle très formelle de par le carré, le rectangle, la boule et les pointes anguleuses des goulots qui menacent faire exploser la planète baudruche à la moindre secousse.

Très formelle aussi « La lune », ne serait-elle pas la pièce la plus emblématique du propos de L’heure du loup ?

Cette exposition ayant pour thème la nuit, je ne pouvais pas faire l’économie de cet astre nocturne empreint de mystère, source de nombreuses mythologies et qui m’a toujours fasciné. Je l’ai installé dans la partie supérieure de la Villa Caméline, dans « La chambre ». J’imaginais que l’astre céleste venait se reposer un temps dans la maison. C’est un rond lumineux inscrit dans un carré. Ce caisson lumineux a été réalisé à partir d’une image en très haute définition de la Nasa, la plus grande photo que l’on puisse trouver de la lune. C’est également la plus grosse production que j’ai jamais réalisée. Elle me tient particulièrement à cœur.

On le voit encore avec L’Heure du loup, tu explores la diversité des médiums. Penses-tu qu’un artiste plasticien se doit d’être, aujourd’hui, pluridisciplinaire ?

C’est en tout cas une tendance qui se confirme avec les nouvelles générations. Personnellement, cette palette de choix dans la forme me permet d’exploiter au mieux une idée, de trouver le matériau le plus apte à développer chacun de mes propos. Je me souviens d’une exposition d’Eric Troncy à la fondation Lambert où il était commissaire. Il avait redessiné quasiment une œuvre. Cela m’avait marqué ! Il faut que l’on soit nos propres commissaires. Il ne suffit pas de s’exprimer sur différents supports, il faut aussi avoir, à un moment donné, un regard extérieur sur son accrochage, envisager la scénographie comme une narration, bref tout cela me paraît plus que jamais indissociable du travail artistique. Toutes les pièces ont été réalisées pour cette exposition et ce lieu, excepté la vidéo qui est un travail que j’avais entamé avant. Ce qui m’a séduit tout particulièrement à la Villa Caméline, c’est le fait d’avoir à ma disposition plusieurs pièces séparées et la possibilité d’intégrer des scénographies différentes. Ce qui est impossible dans une galerie traditionnelle. J’ai dessiné le parcours mais corrigé le tir in situ, car le terrain s’exprime et fait valoir ses contraintes. C’est d’ailleurs tout ce qui fait le charme de ces habitations où l’on doit composer avec le vivant, en tout cas avec l’âme du lieu puisque la Villa Caméline n’est autre qu’une maison abandonnée.

Propos recueillis par Olivier Marro

 

 

 

 

De l’autre côté d’un miroir.

Galerie Le 22
Nice, 2014

 

1 - humeurs d ectoplames

Humeurs d’ectoplasmes
22 photographies sur papier Hahnemüle
30 x 30 cm chacune

 

12 apparition

Apparition
ensemble de 9 sérigraphies sur papier
30 x 45 cm chacune

 

13 la perception

La perception est une faculté bio-physique ou le phénomène physio-psychologique et culturel qui relie l’action du vivant aux mondes et à l’environnement par l’intermédiaire des sens et des idéologies individuels ou collectifs.
vidéo
51’33’’

 

Alexandra Guillot : De l’autre coté d’un fantôme

Tu as déjà convoqué dans tes pièces, ou même performance comme « Silencio » l’univers de la nuit, du conte. Dans cette exposition tu te concentres sur une figure récurrente liée à cet univers. Pourquoi ce choix particulier ?

Ce projet est entièrement consacré au thème de l’ectoplasme et de la représentation du fantôme au travers de trois pièces qui l’abordent de manières très différentes. D’abord parce que mon travail repose depuis longtemps sur l’apparition et la disparition. Ensuite parce que mon attrait pour les fantômes ne date pas d’hier. C’est une phobie de l’enfance teintée de fascination dont je me suis débarrassé tardivement. J’ai gardé toutefois un gout immodéré pour le romantisme noir ou le gothique. A Toulouse, dans mon exposition précédente, j’avais déjà convoqué cette figure mais mon premier travail sur ce thème fut la vidéo que je présente ici pour la première fois à Nice.

Avec « de l’autre coté d’un miroir », le fantôme de Lewis Caroll n’est pas très loin non plus ?

Oui, c’est vrai que l’on est toujours dans l’idée du conte. Chacun a son propre miroir et y voit sa propre construction mentale, sa propre histoire. Je propose une visite de l’autre côté de ce qui pourrait-être mon miroir, mon imaginaire. Le fait de parler « d’un miroir », implique aussi que ces manifestations puissent arriver n’importe où, à n’importe qui. C’est une manière de désacraliser, d’aborder le thème de l’au-delà sous un éclairage différent en intégrant la notion de quotidien car mon intention était aussi d’explorer les diverses représentations que génère ces phénomènes.

L’existence ou non de phénomènes paranormaux serait elle une béquille pour parler d’autre choses ?

Bien sur je ne vais pas marcher sur les plates bandes des extra-lucides (rires). Ce qui m’a intéressé c’est de figurer avec mes moyens de plasticienne la perception que l’on a de la vie après la mort et des chimères qui ont nourri nos cultures. On le voit très bien avec le cinéma qui est un vecteur populaire et universel. Le fantôme japonais n’a rien à voir avec celui écossais pas plus qu’avec celui invoqué dans le vaudou africain, et pourtant il en existe des représentations dans chacune de ces cultures.

Y compris chez nous car ceux de ma génération ont été marqués par le fantôme qui hantait le Louvres dans la série « Belphégor » interprétée par Juliette Gréco. Quelles ont été tes propres pistes ?

La vidéo que j’ai faite, compile la plupart des ces représentations de par le monde aussi saugrenues et peu crédibles soient elles. Encore une fois le propos est de donner à voir. Ces mises en scène, hantent à leur façon le net de Youtube à Dailymotion. Cette œuvre je la vois plutôt comme une collection d’art brut de notre époque. Certaines saynètes sont presque de l’art mais ceux qui les ont réalisés ne l’ont pas fait dans ce but précis. Le titre de cette pièce est la définition même de la perception. Elle est longue mais édifiante : « La perception est une faculté biophysique ou le phénomène physio psychologique et culturel qui relie l’action du vivant aux mondes et à l’environnement par l’intermédiaire des sens et des idéologies individuelles ou collectives. »

Une autre pièce évoque la figure spectrale, j’allais dire plus familièrement ?

Effectivement « Apparition » est un panneau de 9 portraits identiques en ovales, en forme de camée. Cet ensemble de sérigraphies représente une femme du siècle dernier. Le portrait originel en négatif dégageait déjà une impression irréelle mais entre chaque sérigraphie nous avons laissé sécher un peu l’écran afin que la trame soit plus altérée après chaque passage. Le rendu que je recherchais était que l’image se désagrège un peu plus à chaque fois jusqu’a ce qu’elle disparaisse et devienne fantomatique.

Le Portait ovale c’est aussi une nouvelle d’Edgar Allan Poe dans les nouvelles histoires extraordinaires ?

Dans « Apparition » qui est aussi une disparition, on sent, bien sur les influences qui m’ont toujours accompagné à commencer par le romantisme noir. Je ne pouvais pas faire moins que de citer un des pionniers du genre et l’un de mes auteurs préférés. D’autant que le portrait ovale raconte l’histoire d’une belle jeune femme dont l’âme finit par être absorbée par une peinture qui la représente. C‘est un véritable portrait peint par Robert Sully, exposé dans une galerie d’art de la 4th avenue à New York, qui donna à Poe l‘idée de départ. Ici comme dans ses autres nouvelles l’écrivain insiste sur ce que nous voyons lorsque nous regardons autour de nous et sur le fait que tous les témoins d’une scène ne verront jamais la même chose. On ne voit souvent que ce qu’on souhaite voir semble dire Poe à travers ces récits qui ouvrirent la brèche à de nombreux écrivains mêlant le romantisme aux forces invisibles, tels Oscar Wilde (Le Fantôme de Canterville), Bram Stocker (Dracula) Guy de Maupassant (le Horla) et bien d’autres !

Avec la dernière pièce tu abordes une forme moins connue du revenant dont la matérialisation flirte cette fois avec l’abstraction ?

L’idée de « Humeurs d’ectoplasmes » m’est venue du souvenir de l’exposition « Le troisième œil, La photographie et l’occulte » que j’ai pu voir en 2005 à la Maison européenne de la photographie. Elle fait implicitement référence à une série de clichés pour le moins étranges et qui firent scandale au début du siècle dernier en montrant des séances durant lesquels des sujets sous hypnose rejetaient par la bouche des ectoplasmes. Une des ces séries est celle réalisée par le Dr Glen Hamilton un médecin respecté, membre du Parlement Canadien. Dans son laboratoire une batterie de quatorze appareils photo munis de flashs électroniques photographia ces apparitions sous tous les angles simultanément. Les observateurs présents dont quatre autres médecins et deux juristes, déclarèrent avoir vu « de manière répétée des personnes décédées matérialisées »

Des observateurs septiques prouvèrent que l’on pouvait réaliser soi même ces clichés spectaculaires en usant de subterfuges qui n’ont rien de surnaturels. Toi même tu as créé toute une collection d’ectoplasmes, si j’ose dire ?

Evidement il s’agissait d’un canular, d’une mystification mais cette représentation à marqué les esprits. L’ectoplasme fut d’ailleurs très en vogue de 1910 à 1930. Il se manifeste sous des apparences diverses, gazeuses, liquides, vaporeuses, mais toujours abstraites. Il s’agit d’une substance, de nature indéterminée, prenant une forme plus ou moins précise, extériorisée par un médium en état de transe. Chacune de ces 22 humeurs est donc unique. Il s’agit d’un travail de sculpture à façon. Je me suis servi de cire, un matériau utilisé dans les rites sacrés, magiques. Une fois chauffée et, liquide, je l’ai plongé dans un bain d’eau glacée afin que des formes se figent de façon complètement aléatoires. J’ai ensuite photographié ces ectoplasmes dans mon atelier. Le résultat 22 photographies tirées sur papier et encadrées. Ces 22 humeurs d’ectoplasmes tiennent aussi sont aussi de la farce, et sont à appréhender avec un second degré. Mais le plus important c’est que l’ectoplasme est déjà une représentation collective parce que tout à coup dans plusieurs pays : Irlande, Canada, France, Angleterre, le fantôme a été représenté de cette façon. Je suis très attiré aussi par la manipulation. Je collectionne depuis longtemps des mails de voyants. J’avais commencé un travail là dessus en posant sur internet à des médiums une seule question et en collectant leurs réponses. Cela fera probablement l’objet d’une édition.

« De l’autre coté d’un Miroir » entretient une forte référence avec le début de siècle dernier. C’est une période qui t’intéresse ?

Avec cette exposition, je resserre mon travail sur la notion de perception dont je parlais à la Villa Caméline dans « L’heure du loup ». Et en la matière, le 19 éme siècle fut riche d’enseignements car il connu d’importants bouleversements scientifiques qui influencèrent le domaine de la pensée : L’électricité, les débuts du cinéma avec Méliès, (ancien prestidigitateur qui créa les premiers effets spéciaux), l’âge d’or des grands illusionnistes, du magnétisme, de l’occultisme. Bon nombres d’intellectuels ont participé activement à ces nouveaux courants. Conan Doyle, fut très lié aux cercles de l’occultisme. Il a même été impliqué dans une affaire scabreuse de mains en cire, utilisées dans les tables tournantes. Aux frontières de la recherche, ce siècle a vu naître des disciplines mi- scientifiques mi-occultistes relevant aujourd’hui de ce que l’on nomme le paranormal, sous la poussée entre autres de Charcot qui intégra l’hypnose à la médecine. Bref cette période charnière fut un véritable creuset d’expérimentations à la croisée du réel et de l’imaginaire qui générèrent bon nombre de représentations de l’invisible, la plupart étant encore bien ancrées dans nos esprits.

Propos recueillis par Olivier Marro.

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« Rêver l’obscur »

Galerie L’entrepôt – Daniel Boeri
Monaco, 2016

 

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Le sommeil de la raison on sait ce que c’est. On sait ce que ça engendre. Pas la peine de nous la refaire. On connaît la chanson. Il y a longtemps que les grands monstres ont été remplacés par des bêtes de seconde main, des bibelots plus ou moins grotesques, des nains de jardin.

En 1927 Benjamin le disait déjà : la nuit on croit partir pour les tréfonds de l’âme et on ne trouve que des choses. Que des meubles. Notre intérieur est aménagé selon le goût de la veille. Et l’onirique est le royaume du kitsch. Rajoutez à cette affaire un siècle de surréalisme et le constat est sans appel : la route vers l’obscur est entièrement bloquée. Bouchée par un affreux bric-à-brac. Partout l’imagerie précède la vision.

Mais on a beau savoir cela, on a beau l’avoir compris, on insiste cependant. Et il y a toujours un soir de lune où on rallume les bougies. Où l’on défigure les photos. Où on repeint en noir les cages à oiseaux. On ressort les vases et la passementerie. On redit en tremblant le mot « table de nuit ». Et on va marauder des fleurs fanées dans les caveaux de famille.

Nos angoisses, c’est certain, sont engluées à jamais dans le fixateur. Rien ne pourra les en démêler. Mais, même si l’on n’a réuni pour l’occasion qu’une pauvre compagnie de ready-made, il faut que l’on rejoue encore une fois Le Cauchemar Électrique de la Dentellière.

Car on a aussi appris avec le temps à repérer les failles dans le décor, les gouffres dans la marchandise. A voir l’horreur dans la verroterie. Et on ne veut rien de plus maintenant que ces terreurs d’attraction.

Aujourd’hui les spectres voyagent dans des trains fantômes.

Patrice Blouin

 

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Table de nuit (L’icône anonyme)
Table de nuit, portrait 10 x 15 cm, lampe, ampoule, peinture, napperon

 

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Table de nuit (À nos marins)
Table de nuit, bateau, peinture, caparol, lampe, ampoule, napperon

 

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Sans titre
65 x 75 cm
Cadre en bois, bougies, caparol, peinture

 

4

Sans titre
25,5 x 23 cm
Cadre en bois, bougies, caparol, peinture

 

5

Sans titre
31,5 x 25,5 cm
Cadre en bois, bougies, caparol, peinture

 

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Table de nuit (Le gardien de cimetière)
Table de nuit, cage à oiseau, vases, peintures, roses blanches séchées, ampoule, napperon

 

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Sans titre
Bibelot, bougies, peinture, caparol, napperon

 

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Table de nuit (L’informe)
Table de nuit, bibelot, peinture, caparol, lampe, ampoule, napperon

 

16

Table de nuit (Boire à l’amour)
Table de nuit, bibelot, paillettes, lampe, ampoule, bouteille, bougies, caparol, peinture, napperon

 

17

Table de nuit (L’envol)
Table de nuit, lampe, ampoule, bibelot, bougies, caparol, peinture, napperon