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Ce qui reste.

artisconspiration.com
2017

 

 

 

Ce qui reste était une façon de dire adieu. D’une manière autre. Travailler le deuil plutôt que le subir, l’affronter artistiquement plutôt que psychologiquement — même si les deux peuvent être et sont liés, bien évidemment — en donnant la parole (qu’elle soit musicale, plastique, photographique ou vidéographique) à sept artistes.

Pour présenter le projet, nous avions posé la question à ces sept artistes de la pérennité. De leur œuvre. Ce qui, à leur sens, resterait. De leur travail, de leur implication dans leur art.

Les réponses, sous forme d’une vidéo sans contrainte aucune, sont arrivées, chacune reflétant à la fois leur personnalité et leurs obsessions, prenant étrangement le parti chez la majorité d’entre eux d’interroger non pas ce qui resterait de leur travail, mais de leur vie. Ou de la vie, de manière plus générale.

Ainsi, la vidéo d’Alexandra Guillot qui, désincarnée dans le sens où c’est une voix synthétique qui prend la parole et dit le texte proposé en surimpression à l’image (on y reviendra), choisit de mettre une distance considérable entre l’artiste et la question. Distance que manifesteront les images, paysages de montagne survolés, que l’on attribuerait — à tort — en premier lieu à un arrière-pays, qu’il soit niçois ou pyrénéen puisque Alexandra, originaire de Bayonne, s’est établie dans le sud de la France. Pixelisée à outrance, l’image se place d’elle-même dans un passé métaphorique, témoignage usé d’une époque ou d’une technique photographique ou vidéographique révolue, abîmée par le temps plus que par choix (effet voulu en tout cas). Le texte se déploie alors, défilant sur ce paysage en même temps que la voix artificielle le décrypte, butant sur les mots, les décomposant, en erronant parfois la diction à la manière d’un ordinateur fatigué, déversant sa science aux allures de prophétie — et là encore, lorsque l’on suit le travail de l’artiste, on sait son intérêt pour un sensible irrationnel tenu pour science exacte ou son attrait pour la Chine, et sa philosophie ancestrale.

On ne dévoilera pas ici quel message l’artiste transmet au spectateur par le truchement de cette voix morte, passée, dépassée techniquement, à l’obsolescence quasi-programmée. On insistera par contre sur le choix des images, Julie Andrews et son célèbre The hills are alive extrait de La Mélodie du Bonheur, qui à son tour, distancie admirablement l’intention et le réel. Comme si une vie se résumait à des scènes de films surannées et aux prédictions séculaires et galvaudées des bonbons chinois. Et qu’il ne restait justement personne pour les voir et les entendre.

Laurent Herrou, pour * Public Averti / Conspiration
Ce qui reste
 : http://artisconspiration.com/ce-qui-reste/

 

La perception…

La perception est une faculté bio-physique ou le phénomène physio-psychologique et culturel qui relie l’action du vivant aux mondes et à l’environnement par l’intermédiaire des sens et des idéologies individuels ou collectifs. 2011
Vidéo 16/9, son stéréo, durée : 51 min 33 s

Ce film est constitué d’une collection de vidéos d’apparitions fantomatiques et autres phénomènes paranormaux. Toutes les séquences sont issues d’internet.
Je considère ce film comme une version contemporaine de la photographie spirite, comme une analyse de la représentation du fantôme aujourd’hui (dont le cinéma se sert depuis « Le projet Blairwitch » par exemple).
Le titre n’est autre que le début de la définition du mot « perception » dans Wikipédia. Tout le monde ne serait pas apte à voir ces entités. La problématique du fantôme serait donc une problématique de perception.

Retable

Vidéo 4/3.
Son stéréo.
Durée : 23 min 16 s.

Des images, venues de loin, sauvées du dépérissement. Des images, du corps libidinal à la terre sèche, aride, ingrate des déserts qui toujours établiront, à chaque vision, de nouveaux rapports avec la parole dite et la parole tue de l‘écriture, jamais tout à fait audible ou déchiffrable. Vulve, mur de Léonard de Vinci : la matière mouvante du vidéographique se transporte dans une aube de l’image, dans une naissance sans cesse reportée, inachevée dans le mouvement qui, dans la palingénésie, mène de la mort à une naissance imparfaite qui n’est jamais tout à fait renaissance. Une poétique du glitch où l’altération tire tout à la fois vers un état antérieur, un état premier, impossible, et la pulvérisation, le démembrement par le dernier trou noir avant la fin des fins. Des images qui comme un cierge luisent, vacillantes, dans « l’ombre où le soleil se tait ».

Yann Ricordel

Retable est un film expérimental proposant une traversée des enfers, du purgatoire et du paradis.

Dans cette épopée, il nous fallait un guide, tout trouvé en la personne Dante Alighieri. Des extraits de sa Divine Comédie accompagnent les tableaux extérieurs, prologue et épilogue du film : composés d’images abstraites, ils sont portés par une musique composée et jouée par l’artiste plasticien Jérôme Poret.

Ayant pris soin de détériorer encore un peu plus les images que Robin Decourcy lui a confiées, Alexandra Guillot détruit la plupart des repères figuratifs (mis à part le cas des enfers) afin de donner de l’importance aux sous-titres et au son. Ainsi nous traversons les enfers avec les paroles de l’inquiétant pasteur Harry Powell extraites de La nuit du chasseur, puis le purgatoire, avec le texte d’une prière Tarkovskienne issue du Sacrifice accompagnée d’une studieuse suite pour violoncelle de Bach. Enfin, cernés par les vents, nous atteignons le désert du Paradis sous l’égide de Bunuel et sa Voie Lactée.

Certains meurent pas moi

Certains meurent, pas moi
2014
vidéo 10 min 27 sec

« La pensée sans l’image fait du poète le plus vivant le bavard le plus fastidieux.[1]»

Sous le prétexte d’une fiction, Certains meurent, pas moi est une œuvre qui explore les relations entre son, image et texte.

Alexandra Guillot nous raconte dans cette vidéo l’histoire d’Hector, qui se réveille dans un endroit obscur et indéterminé. Nous suivons ses pensées, plus ou moins rationnelles et lucides selon les moments. Des images floues et colorées l’accompagnent ; un son sourd, grave et cliquetant suit un crescendo qui trouvera son point culminant à la fin du récit. Pas de voix off, seule une ligne d’écriture défile en bas de l’’image comme une bannière.

Le texte suit le fil des pensées d’Hector et ne s’interrompt qu’à deux reprises. Il construit une narration en trois parties : un prélude, un récit[2] sous forme d’analepse (ou de flashback) et un épilogue. Alexandra Guillot utilise donc une structure dramatique classique, mais n’apporte pas de dénouement à son histoire. Elle laisse délibérément le champ libre à l’imagination du spectateur : Hector est-il en train de mourir ? D’halluciner ? De rêver ?

Les images, le son et le titre ne nous aideront pas plus que le texte à découvrir la vérité, nous laissant avec ce pauvre Hector dans les limbes. L’atmosphère est ici monstrueusement douce : le son et l’image, organiques, mutants, angoissants, pourraient illustrer une nouvelle d’Howard Philips Lovecraft ou d’Edgar Allan Poe, tandis que le texte nous renverrait plutôt vers la prose d’Haruki Murakami de par son calme et son onirisme. Leur dialogue confère à l’œuvre une qualité de phantasme, de rêve éveillé[3].

La vidéo originale est issue des archives personnelles de l’artiste : retravaillée numériquement, elle a subi différentes altérations produisant une abstraction, une juxtaposition de figures mouvantes et distordues. Celles-ci ressemblent à des phosphènes, phénomènes qui se traduisent par la sensation d’avoir des taches lumineuses dans le champ visuel, y compris les yeux fermés (notamment dans les états de demi-sommeil ou en cas de troubles neurologiques).

Le dialogue entre l’animation de formes filmiques et la partition sonore rappellent les œuvres de Fischinger, Eggeling ou bien encore Ruttmann, dont les films ont marqué la première partie du vingtième siècle ; l’atmosphère surréalisante convoque quant à elle le cinéma expressionniste de la même époque, référence récurrente chez l’artiste.

Ici se pose la question de l’expression formelle de la fiction : en quoi les médiums choisis ont-ils une influence sur le récit lui-même ? Car l’histoire d’Hector n’est pas seulement son récit écrit : elle se forme grâce à la juxtaposition du texte, de l’image et du son, chacune des parties jouant son rôle dans une partition que l’on pourrait nommer narration.

Cette question et ses possibles réponses traversent depuis longtemps déjà le corpus d’œuvres d’Alexandra Guillot, depuis ses textes, fragments d’histoires sans début ni fin à l’onirisme parcellaire et halluciné[4], jusqu’à ses vidéos les plus récentes, notamment Retable (2013), déjà structurée en 3 actes ou tableaux à partir d’extraits filmiques variés.

Pauline Thyss, février 2015

[1] Laocoon ; Lessing, 1766, chapitre 18 (édition Hermann)

[2] Le mot « récit » est ici délibérément utilisé dans sa fonction issue de la tragédie classique, la narration d’un événement qui a lieu hors de la scène.

[3] « Les phantasmes poétiques [sont] par leur enargeia, des rêves éveillés. » (phantasmes : tableaux poétiques ; enargeia : illusion ; chez les grecs, notamment Homère). Laocoon – Chap 14 ; Lessing, 1766

[4] voir pour exemple le document « Vrac » ; qui regroupe les textes d’Alexandra Guillot. Vous y trouverez une version du texte de la vidéo Certains meurent, pas moi, légèrement différente. Vous découvrirez également qu’il s’agit en réalité du second texte intitulé ainsi par l’artiste.