Galerie Le 22
Nice, 2014
Humeurs d’ectoplasmes
22 photographies sur papier Hahnemüle
30 x 30 cm chacune
Apparition
ensemble de 9 sérigraphies sur papier
30 x 45 cm chacune
La perception est une faculté bio-physique ou le phénomène physio-psychologique et culturel qui relie l’action du vivant aux mondes et à l’environnement par l’intermédiaire des sens et des idéologies individuels ou collectifs.
vidéo
51’33’’
Alexandra Guillot : De l’autre coté d’un fantôme
Tu as déjà convoqué dans tes pièces, ou même performance comme « Silencio » l’univers de la nuit, du conte. Dans cette exposition tu te concentres sur une figure récurrente liée à cet univers. Pourquoi ce choix particulier ?
Ce projet est entièrement consacré au thème de l’ectoplasme et de la représentation du fantôme au travers de trois pièces qui l’abordent de manières très différentes. D’abord parce que mon travail repose depuis longtemps sur l’apparition et la disparition. Ensuite parce que mon attrait pour les fantômes ne date pas d’hier. C’est une phobie de l’enfance teintée de fascination dont je me suis débarrassé tardivement. J’ai gardé toutefois un gout immodéré pour le romantisme noir ou le gothique. A Toulouse, dans mon exposition précédente, j’avais déjà convoqué cette figure mais mon premier travail sur ce thème fut la vidéo que je présente ici pour la première fois à Nice.
Avec « de l’autre coté d’un miroir », le fantôme de Lewis Caroll n’est pas très loin non plus ?
Oui, c’est vrai que l’on est toujours dans l’idée du conte. Chacun a son propre miroir et y voit sa propre construction mentale, sa propre histoire. Je propose une visite de l’autre côté de ce qui pourrait-être mon miroir, mon imaginaire. Le fait de parler « d’un miroir », implique aussi que ces manifestations puissent arriver n’importe où, à n’importe qui. C’est une manière de désacraliser, d’aborder le thème de l’au-delà sous un éclairage différent en intégrant la notion de quotidien car mon intention était aussi d’explorer les diverses représentations que génère ces phénomènes.
L’existence ou non de phénomènes paranormaux serait elle une béquille pour parler d’autre choses ?
Bien sur je ne vais pas marcher sur les plates bandes des extra-lucides (rires). Ce qui m’a intéressé c’est de figurer avec mes moyens de plasticienne la perception que l’on a de la vie après la mort et des chimères qui ont nourri nos cultures. On le voit très bien avec le cinéma qui est un vecteur populaire et universel. Le fantôme japonais n’a rien à voir avec celui écossais pas plus qu’avec celui invoqué dans le vaudou africain, et pourtant il en existe des représentations dans chacune de ces cultures.
Y compris chez nous car ceux de ma génération ont été marqués par le fantôme qui hantait le Louvres dans la série « Belphégor » interprétée par Juliette Gréco. Quelles ont été tes propres pistes ?
La vidéo que j’ai faite, compile la plupart des ces représentations de par le monde aussi saugrenues et peu crédibles soient elles. Encore une fois le propos est de donner à voir. Ces mises en scène, hantent à leur façon le net de Youtube à Dailymotion. Cette œuvre je la vois plutôt comme une collection d’art brut de notre époque. Certaines saynètes sont presque de l’art mais ceux qui les ont réalisés ne l’ont pas fait dans ce but précis. Le titre de cette pièce est la définition même de la perception. Elle est longue mais édifiante : « La perception est une faculté biophysique ou le phénomène physio psychologique et culturel qui relie l’action du vivant aux mondes et à l’environnement par l’intermédiaire des sens et des idéologies individuelles ou collectives. »
Une autre pièce évoque la figure spectrale, j’allais dire plus familièrement ?
Effectivement « Apparition » est un panneau de 9 portraits identiques en ovales, en forme de camée. Cet ensemble de sérigraphies représente une femme du siècle dernier. Le portrait originel en négatif dégageait déjà une impression irréelle mais entre chaque sérigraphie nous avons laissé sécher un peu l’écran afin que la trame soit plus altérée après chaque passage. Le rendu que je recherchais était que l’image se désagrège un peu plus à chaque fois jusqu’a ce qu’elle disparaisse et devienne fantomatique.
Le Portait ovale c’est aussi une nouvelle d’Edgar Allan Poe dans les nouvelles histoires extraordinaires ?
Dans « Apparition » qui est aussi une disparition, on sent, bien sur les influences qui m’ont toujours accompagné à commencer par le romantisme noir. Je ne pouvais pas faire moins que de citer un des pionniers du genre et l’un de mes auteurs préférés. D’autant que le portrait ovale raconte l’histoire d’une belle jeune femme dont l’âme finit par être absorbée par une peinture qui la représente. C‘est un véritable portrait peint par Robert Sully, exposé dans une galerie d’art de la 4th avenue à New York, qui donna à Poe l‘idée de départ. Ici comme dans ses autres nouvelles l’écrivain insiste sur ce que nous voyons lorsque nous regardons autour de nous et sur le fait que tous les témoins d’une scène ne verront jamais la même chose. On ne voit souvent que ce qu’on souhaite voir semble dire Poe à travers ces récits qui ouvrirent la brèche à de nombreux écrivains mêlant le romantisme aux forces invisibles, tels Oscar Wilde (Le Fantôme de Canterville), Bram Stocker (Dracula) Guy de Maupassant (le Horla) et bien d’autres !
Avec la dernière pièce tu abordes une forme moins connue du revenant dont la matérialisation flirte cette fois avec l’abstraction ?
L’idée de « Humeurs d’ectoplasmes » m’est venue du souvenir de l’exposition « Le troisième œil, La photographie et l’occulte » que j’ai pu voir en 2005 à la Maison européenne de la photographie. Elle fait implicitement référence à une série de clichés pour le moins étranges et qui firent scandale au début du siècle dernier en montrant des séances durant lesquels des sujets sous hypnose rejetaient par la bouche des ectoplasmes. Une des ces séries est celle réalisée par le Dr Glen Hamilton un médecin respecté, membre du Parlement Canadien. Dans son laboratoire une batterie de quatorze appareils photo munis de flashs électroniques photographia ces apparitions sous tous les angles simultanément. Les observateurs présents dont quatre autres médecins et deux juristes, déclarèrent avoir vu « de manière répétée des personnes décédées matérialisées »
Des observateurs septiques prouvèrent que l’on pouvait réaliser soi même ces clichés spectaculaires en usant de subterfuges qui n’ont rien de surnaturels. Toi même tu as créé toute une collection d’ectoplasmes, si j’ose dire ?
Evidement il s’agissait d’un canular, d’une mystification mais cette représentation à marqué les esprits. L’ectoplasme fut d’ailleurs très en vogue de 1910 à 1930. Il se manifeste sous des apparences diverses, gazeuses, liquides, vaporeuses, mais toujours abstraites. Il s’agit d’une substance, de nature indéterminée, prenant une forme plus ou moins précise, extériorisée par un médium en état de transe. Chacune de ces 22 humeurs est donc unique. Il s’agit d’un travail de sculpture à façon. Je me suis servi de cire, un matériau utilisé dans les rites sacrés, magiques. Une fois chauffée et, liquide, je l’ai plongé dans un bain d’eau glacée afin que des formes se figent de façon complètement aléatoires. J’ai ensuite photographié ces ectoplasmes dans mon atelier. Le résultat 22 photographies tirées sur papier et encadrées. Ces 22 humeurs d’ectoplasmes tiennent aussi sont aussi de la farce, et sont à appréhender avec un second degré. Mais le plus important c’est que l’ectoplasme est déjà une représentation collective parce que tout à coup dans plusieurs pays : Irlande, Canada, France, Angleterre, le fantôme a été représenté de cette façon. Je suis très attiré aussi par la manipulation. Je collectionne depuis longtemps des mails de voyants. J’avais commencé un travail là dessus en posant sur internet à des médiums une seule question et en collectant leurs réponses. Cela fera probablement l’objet d’une édition.
« De l’autre coté d’un Miroir » entretient une forte référence avec le début de siècle dernier. C’est une période qui t’intéresse ?
Avec cette exposition, je resserre mon travail sur la notion de perception dont je parlais à la Villa Caméline dans « L’heure du loup ». Et en la matière, le 19 éme siècle fut riche d’enseignements car il connu d’importants bouleversements scientifiques qui influencèrent le domaine de la pensée : L’électricité, les débuts du cinéma avec Méliès, (ancien prestidigitateur qui créa les premiers effets spéciaux), l’âge d’or des grands illusionnistes, du magnétisme, de l’occultisme. Bon nombres d’intellectuels ont participé activement à ces nouveaux courants. Conan Doyle, fut très lié aux cercles de l’occultisme. Il a même été impliqué dans une affaire scabreuse de mains en cire, utilisées dans les tables tournantes. Aux frontières de la recherche, ce siècle a vu naître des disciplines mi- scientifiques mi-occultistes relevant aujourd’hui de ce que l’on nomme le paranormal, sous la poussée entre autres de Charcot qui intégra l’hypnose à la médecine. Bref cette période charnière fut un véritable creuset d’expérimentations à la croisée du réel et de l’imaginaire qui générèrent bon nombre de représentations de l’invisible, la plupart étant encore bien ancrées dans nos esprits.
Propos recueillis par Olivier Marro.